Jouer des parties de jeu de rôle, Lapin Marteau (2017)

Jouer des parties de jeu de rôle est le deuxième tome de la série d’ouvrages de l’éditeur Lapin Marteau consacrés à la théorie et à la pratique du JDR (série intitulée Sortir de l’auberge), sorti à la suite de Mener des parties de jeu de rôle (2016). Il s’agit cette fois pour Jérôme Larré et Coralie David, entourés de nombreuses plumes connues du milieu du JDR, de s’intéresser à l’art du rôlisme vu « du côté illustré de l’écran », c’est-à-dire des joueurs.

J’élimine tout de suite la question sémantique du choix par l’éditeur d’utiliser le plus souvent le mot « joueur » au féminin dans cet ouvrage, en renvoyant vers cette synthèse de leur position. Chacun est en droit de faire les entorses qu’il souhaite à la langue française sous sa forme actuelle, je ne m’arc-bouterai pas là dessus même si je ne vous cache pas que cela n’est pas forcément à mon goût.

Nous voici donc en présence d’une somme regroupant les contributions de 16 personnalités (chercheurs, éditeurs, auteurs, journalistes, etc.), organisée en articles réunis dans trois parties séquentielles : « les bases », « les techniques avancées », « varier les plaisirs ». Notons la participation d’Olivier Caïra, qui avait coordonnée avec Jérôme Larré l’ouvrage Jouer avec l’histoire en 2009.

L’objet-livre

Nous passerons rapidement sur ce point : il s’agit d’un bel ouvrage de plus de 360 pages (couverture cartonnée, papier bouffant) mais malheureusement cela explique le prix que je juge prohibitif (35 euros), en tout cas pour ce type de texte (des articles imprimés en noir). Je l’ai tout de même acheté me direz-vous ; néanmoins je pense qu’une fabrication moins onéreuse n’aurait rien enlevé à l’intérêt du propos, et aurait permis un prix plus accessible.

La forme éditoriale

Je ne suis pas forcément un amateur des sommes d’articles. Cela provoque souvent trop d’éparpillement et de redites, à mon goût, surtout dans un ouvrage qui se veut avant tout pratique plus que théorique. Ceci étant dit, je trouve qu’en l’espèce la progression du propos est bien organisée, et de nombreux renvois internes permettent au lecteur de voguer au sein de l’ouvrage, en suivant les thèmes qui l’interrogent.

Il y a forcément des redites et croisements d’un article à l’autre, mais soulignons qu’il n’y a ni contradiction interne, ni retours en arrière, c’est déjà un bel accomplissement.

Pour le reste, d’un point de vue formel, rien à redire : les synthèses pratiques résumant le propos à la fin de chaque article sont utiles, le propos est clair et équilibré. Seul bémol selon moi : la première contribution est en fait le verbatim d’une discussion entre Anne Richard-Davoust et son époux (surnommé Le Grümph), une forme que je trouve très laborieuse à lire et souvent peu enrichissante sur le fond (propos décousu, haché).

Le fond

L’objectif des auteurs n’est pas de donner des recettes magiques mais plutôt de faire profiter leurs lecteurs de retours d’expériences riches et variés sur la pratique du JDR, côté joueur. De ce point de vue, je trouve que la pari est réussi : les conseils sont le plus souvent sages et mesurés, bien ancrés dans la réalité de la pratique avec moults exemples et mises en situation. Ainsi vous y apprendrez par exemple comment transformer un perso incapable en héros ou encore quelles sont les meilleurs techniques pour créer un personnage et explorer un donjon.

En tant qu’ancien joueur (j’ai rarement maîtrisé), j’aurais sans doute profité de ces conseils à l’époque, pour diversifier mon jeu et étonner mes amis rôlistes. La première partie de l’ouvrage, en grande partie consacrée à la création puis l’incarnation de personnage, est de ce point de vue la plus éclairante selon moi.

Comme esquissé plus haut, un point notable est l’absence de jugement de valeur tout au long de l’ouvrage. Beaucoup de précautions scripturales et de sagesse dans les propos permettent d’éviter l’ornière classique qui consiste à pointer du doigt les Gros Bill et autres minimaxés de ce monde. Chacun peut ainsi se retrouver dans les exemples fournis, que ce soit dans les jeux cités, les situations évoqués, les ambiances de jeux étudiées. D’où qu’on prenne son plaisir dans ce hobby, on peut tous progresser dans le jeu : voici l’idée principale qui ressort de la lecture de cet ouvrage.

Les seules contributions qui m’ont fait (en partie) grimacer sont celles de Selene Tonon, qui a écrit « Dépasser ces clichés » ainsi que la première partie de la conclusion intitulée « Ne pas être cette joueuse-là ». L’unique raison de cette gêne provient des endroits où l’auteur met trop en avant l’éventuel carambolage entre la biographie du joueur et la nature de son personnage, ainsi que les événements qui lui arrivent dans le jeu. Ainsi page 239 par exemple, la blogueuse et chroniqueuse propose de jouer des personnages aromantiques/asexuels. Pourquoi pas ! Mais elle explique ensuite que « cela permet [… de ne pas …]  subir les injonctions qui y sont liées, ce qui peut être apaisant si cela correspond à ce que l’on vit« .

A mon humble avis, le JDR n’est ni une thérapie ni une oeuvre édifiante, c’est pourquoi j’ai été gêné de l’apparition à cet endroit d’un parallèle entre la vie du joueur et celle de son personnage (ou plutôt du conseil consistant à utiliser l’un pour adoucir l’autre). Ce conseil se décline sur la plupart des attirances sexuelles mais aussi sur la question du genre et du racisme. Tout cela est louable en soi, dans un cadre bienveillant, mais la causalité me semble maladroite. De même en conclusion, toujours en raison de la biographie des joueurs, Selene Tonon proscrit tout viol dans une partie de JDR… quelques lignes après avoir expliqué qu’on pouvait quand même s’assassiner entre joueurs ! Personnellement, j’ai déjà joué une partie où un PJ en violait un autre, sans que cela ne pose davantage de problèmes que s’il l’avait (juste) tué. Dans les deux cas c’est rare, forcément éprouvant pour le groupe, mais je ne comprends pas qu’on interdise cette situation (page 343 : « Proscrivez le viol« ), par ailleurs très courante dans de nombreux univers (pensons déjà aux JDR historiques sur le Moyen-Âge par exemple…).

En bref

Un livre qui aurait pu être moins onéreux mais un bel ouvrage, enrichissant, plein de conseils et de retours d’expériences. Pas forcément à conseiller aux néophytes (il y a tout de même beaucoup de références culturelles peu explicitées) mais les joueurs plus ou moins expérimentés y trouveront des idées. Pas ou peu de théorie selon moi, mais tant mieux ! La fin de la première partie et la seconde partie, très axées sur le relationnel entre joueurs, développent une vision innovante je trouve, riche de psychologie sociale appliquée au sens où l’on comprend bien (en observant) que le plaisir du hobby se trouve dans le groupe et s’obtient par le groupe. Tout cela souligne l’approche bienveillante des auteurs réunis ici, qui est la principale réussite de l’ouvrage. Je terminerai néanmoins avec une citation riche de sagesse, issue de sa conclusion :

« L’essentiel, c’est qu’il n’est pas nécessaire de se poser autant de questions pour apprécier une partie de JDR. »

Pascal J.

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