Crowdfunding rôliste : bilan 2011-2017

Voici venu le moment de continuer le recensement des différents projets de crowdfunding dédiés au JDR, suite à sa première version et à notre article de mars 2015 : 143 projets ont été financés entre le lancement de Don’t rest your head en septembre 2011 (par les Écuries d’Augias) et le supplément Umbrae pour Chiaroscuro par les Vagabonds du rêve, financé en décembre 2017. Cela représente un chiffre d’affaires total de plus de 6 millions d’euros sur cette période.

Parmi ces 143 projets, on retrouve de tout : des financements de livres de base originaux, des traductions, des projets de suppléments, écrans, etc. On note également l’apparition depuis notre dernière recension de projets particuliers : souscriptions réservées aux boutiques, financements génériques de créateurs (non reliés à un projet spécifique) ; la technologie proposée n’a plus comme limite que l’imagination des bénéficiaires (et l’adhésion des participants).

24 projets relèvent de l’auto-édition et donc 119 ont été portés par 27 maisons d’édition différentes. Les 10 maisons les plus présentes (en chiffres d’affaires) représentent près de 50 % des projets pour 90 % de l’argent total levé : Black Book, Sans-Détour, Agate, Arkhane Asylum, AKA Games, Scriptarium, Mnémos, Book in game (Deadcrows, Raise Dead et Batro Games), 500 nuances de Geek et XII singes. A noter : à eux seuls, Black Book et Sans-Détour ont accumulé 50 % de la valeur des financement participatifs, pour 30 % des projets.

70 % de ces projets ont été financés sur la plateforme Ulule, 29 % sur la plateforme de l’éditeur Black Book (refondue et rebaptisée Game on tabletop en novembre 2015), 1 % sur un site dédié (Shaan Renaissance) et enfin un dernier projet (1 %) via la petite plateforme Octopousse. A noter : en valeur, la plateforme Black Book représente 42 % du total, elle réunit dont des projets qui lèvent en moyenne plus d’argent que la plateforme Ulule.

En moyenne, chaque projet a été financé à hauteur 42 500 euros pour environ environ 460 participants. Si l’on regarde également les valeurs médianes, très inférieures (16 000 € pour 210 participants par projet), on constate rapidement que l’échantillon est très disparate, comme nous allons le voir. En réalité la fourchette est large : L’Appel de Cthulhu 7e édition (Sans-Détour) a toujours le record en ayant levé près de 403 000 euros en 2015 avec 3 766 donateurs quand par exemple l’un des précurseurs du phénomène de financement participatif des jeux de rôle, Lacuna (par 500 nuances de Geek, ex-Narrativiste éditions), n’avait levé que 1 159 euros grâce à ses 59 donateurs en octobre 2011.

Évolution des souscriptions rôlistes entre 2011 et 2017

Pour étudier l’évolution du crowdfunding appliqué aux jeux de rôle depuis les débuts de cette pratique, nous étudions trois indicateurs principaux pour chaque projet financé (nous excluons les projets n’ayant pas atteint la somme escomptée) : les sommes récoltées, le nombre de participants et le montant du versement par participant. Nous observons une très forte progression du phénomène à tous points de vue, avec logiquement une année 2017 qui est celle de tous les records avec près de 2 millions d’euros de chiffre d’affaires. Tout cela provient bien entendu du nombre croissant de projets mais surtout de participants. Car c’est bien le nombre de participants par projet qui évolue positivement (près de 800 en 2017 contre 200 en 2011)), davantage que le panier moyen qui a même tendance à régresser depuis 2016.

Le poids de l’attente

Souvent, les problèmes autour des souscriptions surviennent sous forme de retards parfois très importants dans la livraison des contreparties promises aux participants. Si la moyenne du délai entre la fin de la souscription et la livraison aux participants est d’environ 11 mois, là aussi les cas peuvent être très différents : Pavillon noir 2e édition de Black Book aura fait attendre plus de 4 ans ses fans, tandis que L’Agence barbare de Stellamaris par exemple avait pu être livré au bout d’un mois environ après la fin de la souscription.

Actuellement, les récompenses de 23 projets parmi les 143 financés sont encore attendues par leurs souscripteurs… C’est autant de dettes clients accumulées par les éditeurs, qui sont malheureusement parfois obligés d’attendre des années avant de pouvoir reconnaître comptablement ce chiffre d’affaires.

Maisons d’édition VS projets auto-édités

Les campagnes de souscription pour l’édition d’un jeu de rôle n’ont souvent en commun que le nom : le porteur du projet de par sa structure, ses ambitions, son historique, a une grande influence sur le succès du crowdfunding, tout comme l’ampleur du projet lui-même. Il nous a ainsi semblé intéressant de comparer les projets édités par une structure identifiée et active sur le marché du JDR (même si celles-ci sont également très différentes entre elles) et ceux auto-édités.

On voit ci-dessus stagner la part des projets auto-édités dans l’ensemble des souscriptions rôlistes, atteignant « seulement » 17% des projets financés sur l’année 2017.

C’est sans étonnement que l’on constate que malgré une amélioration des scores financiers de ces projets auto-édités, ils restent très éloignés de ceux des projets issus de maisons d’édition rôlistes. Ils récoltent ainsi en moyenne environ 10 000 euros sur 2017, même si certains titres ont été de vrais succès comme par exemple Tahala avec ses 24 000 euros levés en octobre 2017.

Même phénomène sur le nombre moyen de participants : l’auto-édition se contente d’environ 300 souscripteurs là où les maisons d’édition atteignent presque le millier de participants.

C’est sur ce dernier graphique que la principale différence entre projets auto-édités ou non est mise en lumière : depuis 2013, c’est le montant consenti par souscription qui diffère durablement sur un rapport de 1 à 4. Quand un rôliste soutient un projet auto-édité, il consent en moyenne une somme d’une trentaine d’euros. Quand il soutient un projet porté par une maison d’édition, ce montant passe en moyenne à plus de 100 euros (cela baisse de 20% en 2017).

Beaucoup d’éléments pourraient expliquer ce constat (je reprends les mêmes qu’en 2015) : des projets moins ambitieux (moins de produits), moins de communication virale (avec les fameux paliers sociaux), pas ou peu d’avantages proposés dans différents paliers (les goodies)… C’est surtout selon moi le symptôme de la double nature du crowdfunding : une partie des projets (auto-édités ou non, d’ailleurs) répond à l’objectif originel de soutien à la création indépendante tandis que de plus en plus de campagnes (celles qui battent les records financiers notamment) s’apparentent à des opérations de marketing viral autour de l’annonce de sorties futures, avec un système de prévente adressée à des fans collectionneurs.

L’exemple de l’édition de jeu de rôle nous permet donc de constater l’émergence rapide d’un crowdfunding « haut de gamme », celui fier d’être « financé en moins de 10 minutes », qui déconnecte parfois complètement la somme visée avec les besoins réels d’un projet éditorial. Ce système de financement social est en fait destiné à une nouvelle communauté de consommateurs et ce n’est au fond pas l’existence du projet qui est en jeu.En face de ce phénomène très bruyant sur la Toile perdure le financement participatif plus classique, souhaitant assurer l’existence de « projets créatifs, innovants, solidaires ou à portée citoyenne », tels que décrits en accueil de la plateforme Ulule.

J’y ajoute un seul chiffre à méditer : en 4 projets financés, l’éditeur Sans-Détour a levé plus de 1 060 000 euros pour la gamme Appel de Cthulhu, le 2e jeu de rôle le plus connu et joué, et l’un des plus vendus. Black Book est sur la même lancée, ayant levé plus de 500 000 euros en 9 projets dédiés à 3 gammes majeures du marché : Chroniques oubliées, Pathfinder et Shadowrun.

Pascal J

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