Avec le lancement cette semaine d’un deuxième projet de crowdfunding chez Sans-Détour pour l’année 2015, les débats renaissent un peu partout (notamment sur Le Thiase) sur les avantages et inconvénients de ce système de financement participatif appliqué à notre loisir. C’est près de 90 000 euros qui ont d’ores et déjà été levés en 3 jours pour cette campagne inédite de L’Appel de Cthulhu, alors que 400 000 euros avaient déjà été récoltés par le même éditeur en début d’année pour la sortie du livre de base et des premiers suppléments de la 7e édition de cette célèbre gamme lovecraftienne.
C’est l’occasion pour nous de mettre à jour le recensement des différents projets de crowdfunding dédiés au JDR, suite à notre article de mars 2015 : 71 projets ont été financés depuis le lancement de Don’t rest your head en septembre 2011 (par les Écuries d’Augias). 82 % de ces projets ont été financés sur la plateforme Ulule, 15 % sur la plateforme de l’éditeur Black Book, 1 % sur un site dédié (Shaan Renaissance) et enfin un dernier projet (1 %) via la petite plateforme Octopousse.
Parmi ces 71 projets, on retrouve de tout : des financements de livres de base originaux, des traductions, des projets de suppléments, écrans, etc. 12 projets relèvent de l’auto-édition mais la grande majorité ont été portés par 20 maisons d’édition différentes. En moyenne chacune a touché près de 26 000 euros par projet avec environ 270 donateurs. [EDIT : suite à un commentaire très pertinent, j’ajoute les chiffres médians : 8 115 euros et 142 donateurs par projets. A noter : la grande différence entre la moyenne et la médiane révèle que l’échantillon est très disparate]. En réalité la fourchette est large : L’Appel de Cthulhu 7e édition (Sans-Détour) a levé près de 403 000 euros en 2015 avec 3 766 donateurs quand par exemple l’un des précurseurs Lacuna (par 500 nuances de Geek, ex-Narrativiste éditions) n’avait levé que 1 159 euros grâce à ses 59 donateurs.
Évolution des souscriptions rôlistes entre 2011 et 2015
Pour étudier l’évolution du crowdfunding appliqué aux jeux de rôle depuis les débuts de cette pratique, nous étudions trois indicateurs principaux pour chaque projet financé (nous excluons les projets n’ayant pas atteint la somme escomptée) : les sommes récoltées, le nombre de donateurs et le montant du versement par donateur.
Nous observons ci-dessus que l’année 2015 est celle de tous les records, alors même qu’elle n’est pas terminée. Les sommes moyennes levées par projets atteignent plus de 45 000 euros tandis que le nombre de projets financés est le plus élevé depuis 2011. Sur l’année 2015, ce sont d’ores et déjà plus d’un million d’euros qui ont été récoltés par les différents porteurs de projets rôlistes sur les plateformes de crowdfunding, davantage que pour toute la période 2011-2014 (825 000 euros) ! En comptant les souscriptions encore en cours au moment ou paraît cet article, ce montant s’élèvera sans doute à près d’1,2 millions d’euros.
Il apparaît clairement dans ce second graphique que le record de 2015 est à mettre au crédit de l’augmentation importante du nombre de participants à chaque souscription, bien plus qu’au panier moyen dépensé qui stagne depuis 2013 aux alentours de 100 euros. Ce sont cette année près de 500 souscripteurs qui se sont réunis en moyenne pour soutenir un projet rôliste, contre environ 200 auparavant.
Maisons d’édition VS projets auto-édités
Les campagnes de souscription pour l’édition d’un jeu de rôle n’ont souvent en commun que le nom : le porteur du projet de par sa structure, ses ambitions, son historique, a une grande influence sur le succès du crowdfunding, tout comme l’ampleur du projet lui-même. Il nous a ainsi semblé intéressant de comparer les projets édités par une structure identifiée et active sur le marché du JDR (même si celles-ci sont également très différentes entre elles) et ceux auto-édités.
On voit ci-dessus nettement s’affirmer la part des projets auto-édités dans l’ensemble des souscriptions rôlistes, atteignant même 38% des projets financés sur l’année 2015.
C’est sans étonnement que l’on constate que malgré une amélioration des scores financiers de ces projets auto-édités, ils restent très éloignés de ceux des projets issus de maisons d’édition rôlistes. Ils récoltent ainsi en moyenne environ 4 000 euros sur 2015, même si certains titres ont été de vrais succès comme par exemple Space Up’Era avec ses 8 250 euros levés en septembre.
Même phénomène sur le nombre de donateurs moyen : l’auto-édition se contente d’une centaine de souscripteurs là où les maisons d’édition atteignent presque le demi-millier de participants. A noter : le poids important de la souscription de Sans-Détour qui vient complètement écraser de ce point de vue les statistiques de l’année 2015.
C’est sur ce dernier graphique que la principale différence entre projets auto-édités ou non est mise en lumière : depuis 2013, c’est le montant consenti par souscription qui diffère durablement sur un rapport de 1 à 4. Quand un rôliste soutient un projet auto-édité, il consent en moyenne une somme d’une trentaine d’euros. Quand il soutient un projet porté par une maison d’édition, ce montant passe en moyenne à plus de 100 euros.
Beaucoup d’éléments pourraient expliquer ce constat : des projets moins ambitieux (moins de produits), moins de communication virale (les paliers sociaux dont l’éditeur Sans-Détour est désormais spécialiste), pas ou peu d’avantages proposés dans différents paliers (les fameux goodies)… C’est surtout selon moi le symptôme de la double nature du crowdfunding : une partie des projets (auto-édités ou non, d’ailleurs), servent l’objectif originel de soutien à la création indépendante tandis que de plus en plus de campagnes (celles qui battent les records financiers notamment) s’apparentent davantage à des opérations de marketing viral autour de l’annonce de sorties futures, avec un système de prévente adressée à des fans collectionneurs.
L’exemple de l’édition de jeu de rôle nous permet donc de constater l’émergence rapide d’un crowdfunding « haut de gamme », celui fier d’être « financé en moins de 10 minutes », qui déconnecte parfois complètement la somme visée avec les besoins réels d’un projet éditorial. Ce système de financement social est en fait destiné à une nouvelle communauté de consommateurs et ce n’est au fond pas l’existence du projet qui est en jeu.
En face de ce phénomène très bruyant sur la Toile perdure le financement participatif plus classique, souhaitant assurer l’existence de « projets créatifs, innovants, solidaires ou à portée citoyenne », tels que décrits en accueil de la plateforme Ulule.
Pitch
Khaneety
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